Embrigadement

Hier soir, je me suis couché en laissant Vodka-Pomme éveillée sur le bureau à côté de moi. C’est ainsi que son écran m’a éclairé d’une teinte bleutée toute la nuit. Alors que dans un chez-moi je l’aurais éteinte pour bénéficier d’une obscurité totale, dans cette pièce le plafond s’ouvre en deux endroits avec un vélux et je préférais le bleu de l’écran à l’orange terne des lampadaires alentours.

Je pense que c’est cette luminosité qui a causé mes rêves de ce matin.

Il y a eu trois épisodes, à chaque fois interrompus par un réveil partiel.

L’histoire a commencé de jour. J’étais dans une Jeep avec un officier militaire qui me parlait, qui me décrivait à quel point il était satisfait de m’avoir choisi pour une tâche qu’il ne voulait pas exprimer clairement. Nous approchions par une route de campagne, ambiance ouest américain moderne, d’un grand immeuble blanc au milieu d’une plaine assez désertique (peu d’arbres). Nous avons quitté la route principale, éloignée du bâtiment, en tournant à droite sur une route plus étroite. Sur le côté gauche, il y avait quelques hangars désaffectés, quelques arbres décrépits, puis ce grand bâtiment qui semblait lors de ce premier passage assez austère et simple. À ce premier passage donc, un portail dans la façade du bâtiment s’ouvrait à un moment et nous tournâmes à gauche pour nous engouffrer, très vite dans la Jeep, dans une allée intérieure qui descendait en pente entre deux blocs du bâtiment. Après avoir traversé l’infrastructure, nous nous retrouvâmes dans un grand parking presque vide, dont le fond était bordé d’arbres, les seuls dans le paysage.

L’officier me dit alors qu’il était temps de m’engager, et il me fit entrer par une porte de derrière dans ce bâtiment.

Je me rappelle qu’il y faisait chaud, et que les couloirs qu’il me fit traverser donnaient l’impression d’être dans un centre administratif. Après plusieurs tournants, en montant plusieurs escaliers et ascenseurs, nous ressortîmes par devant pour rentrer à nouveau par une autre porte. Entre-temps, je remarquai que la façade avant que j’avais trouvée lisse et austère était en fait criblée de portes, passages, fenêtres de toutes tailles, matériaux et usages. Après cette nouvelle entrée, je me retrouvais dans un bureau où après m’avoir donné des numéros, des noms et un « timbre d’identification » qui portait un code-barre et la figure d’un personnage habillé en rouge, mon officier me dit d’aller me reposer et de le retrouver le lendemain. Il était déjà tard, et tout ce que je me souviens de ce que j’avais entendu juste avant était le numéro de mon détachement / brigade / groupe : 150-159, avec le savoir que ses quartiers étaient accessible par une porte numérotée de la sorte.

Je ressortis de ce bureau et parcourus la façade des yeux : il y avait bien plusieurs portes numérotées (400, 600-700, 230-260), mais point de 150-159. J’étais pourtant certains d’avoir un souvenir de mon officier en train de me désigner, tandis que nous arrivions en Jeep, la porte permettant d’accéder à mes quartiers, en me disant « tiens, pour toi c’est par là. » En vain, je la cherchai, d’un bout du bâtiment à l’autre, sans la trouver. Et évidemment, aucune des autres portes ne m’était ouverte, soit parce que verrouillée, soit parce que je n’osais l’ouvrir (car en bon nouveau militaire, il était impensable que je me retrouve, par curiosité, dans un endroit où je n’aurais rien eu à faire).

Je me mis donc à marcher le long de la route, avec le bâtiment sur la gauche, avec pour objectif de retrouver le portail emprunter le matin pour aller à l’arrière du bâtiment.

Et comme j’aurais du m’y attendre, je ne le retrouvai pas.

Je marchai donc, en m’éloignant de ce complexe militaire tandis que la nuit tombait, à la recherche d’un passage quelconque, d’une information, de quelqu’un, ou au moins pour m’occuper. À un moment, cette route secondaire bifurquait à droite, tandis qu’une grotte s’ouvrait sur la gauche. J’entrai dans la grotte, car, me disais-je, toute grotte digne de ce nom sert d’ouverture à un passage secret. Et tandis que je commençais à voir des stalactites et des stalagmites, j’entendis quelqu’un m’appeler derrière moi, depuis la route que je venais de quitter.

Je ressortis de la grotte, pour voir juste après le tournant un autre début de grotte, éclairé d’une lumière faible et colorée (rouge, bleu, vert). En me rapprochant, je vis que la lumière émanait de sculptures dans la roche représentant des personnages colorés : un jaune, un bleu, un rouge et un vert. Tous avaient la même forme, celle d’une espèce de mage, ou avec du recul à « l’oncle Sam » américain dans la posture des affiches de recrutement. Et le bonhomme rouge, qui était le même que celui dessiné sur mon timbre d’identification, se mit à me parler : « tu es idiot, il faut que tu cherches le passage qui fait “ding” » (et un double carillon retentit au moment où il me le disait), « et fais attention à ton timbre, il pleut. »

Effectivement, il pleuvait, et mon timbre se décolorait.

En ressortant de cette deuxième grotte, je vis un peu plus loin sur le côté droit de la route un début de ville à l’illumination bleu électrique, glauque, et je me mis en route dans l’autre sens pour revenir vers le centre militaire.

Arrivé à mon point de départ, devant la façade du bâtiment, il ne pleuvait plus, le bonhomme rouge dessiné sur mon timbre était presque méconnaissable (il ne restait que la teinte, le dessin était dilué), et je fis une pause réflexive :

  • je me dis que cette impossibilité de trouver l’endroit où j’aurais du me trouver était peut-être un test initiatique.
  • je me rendis compte que j’étais dans un camp d’entraînement militaire, et qu’il y avait plein de beaux jeunes hommes en train de faire leurs ablutions du soir à l’endroit où j’aurais dû être, et j’en ressentis une grande frustration.
  • je me dis que j’étais en train de manquer toutes les explications données aux nouveaux le soir concernant le fonctionnement du centre (personnes, rôles, permissions, tâches, emploi du temps, etc), et que j’allais passer pour un cancre le lendemain matin.
  • je me rendis compte qu’il était probable vu les échecs précédents que j’allais passer la nuit dehors et qu’il fallait que je me fasse à cette idée et que je me prépare pour la longue journée qui allait bientôt commencer,
  • je me demandais où avait été posé mon sac de voyage.

Fin du premier épisode. J’émergeai pendant un court instant, le temps de me rendre compte que la lumière bleu électrique dans mon rêvé était l’éclairage de Vodka-Pomme, et je replongeai dans le rêve aussitôt.

Je pris la décision de retrouver le passage vers l’arrière du bâtiment avec le conseil de l’oncle Sam rouge, et je me remis en marche le long de la route avec le bâtiment sur ma gauche. Tandis que j’approchais de l’extrémité du bâtiment, deux voitures bariolées me dépassèrent à toute vitesse, leurs conducteurs étant en train de faire la course, pour s’engouffrer tout d’un coup sur la gauche dans un tunnel souterrain à la pente descendante abrupte.

(le relief dans ce rêve était régulièrement changeant, mais fi, c’était un rêve)

En m’approchant, je vis que ce tunnel était digne du meilleur jeu de courses de voiture que j’ai connu, il était décoré de bandes colorées du style de celles qui sont chargées de donner une information qualitative de vitesse aux conducteurs qui les empruntent. Et en plus, des signaux lumineux clignotant synchronisés donnaient cet effet de signal lumineux qui s’avance sur le bord du tunnel.

Encore surpris de la présence de ces deux voitures de courses en me demandant comment j’avais pu ignorer ce tunnel étrange à mes premiers passages, j’entendis le double “ding”, et je sus que j’étais sur la bonne voie.

Après avoir enfourché un deux-roues quelconque qui traînait à l’entrée du tunnel, je commençais à descendre dedans, en prenant soin de bien rouler sur le trottoir de gauche pour éviter les éventuelles autres voitures qui viendraient se courser dans le passage. Et je pris de la vitesse, de plus en plus, au point de pouvoir profiter de l’effet visuel donné par les bandes sus-mentionnées.

Et à un moment, le trottoir de gauche commença à s’élever par rapport à la route. De plus en plus, voire à diverger carrément sur la gauche, et seule mon intuition me poussa à garder mon deux-roues dessus et suivre ce tracé.

Bien m’en pris ; au bout d’un moment, court à cause de la vitesse mais après une distance assez longue, le trottoir gauche se changea brusquement en entrée de tunnel étroit, presque grotte, bifurquant complètement sur la gauche. Toujours à pleine vitesse, je m’engouffrai dedans, sentis que par un moyen inconnu je me débarrassai de mon deux-roues pour me retrouver en train de courir, et observai que la décoration du style “tunnel de course” faisait peu à peu place à une décoration du style “entrée haute sécurité d’une installation militaire”.

Toujours en train d’avancer rapidement (en courant ou je ne sais quoi d’autre), je repérai sur le passage un instrument posé en vrac par terre, et machinalement (sans réfléchir, mon intuition m’insufflait un automatisme tiré de mon collectif d’imaginaire associé aux installations militaires) je m’en emparai et y soumis mon timbre d’identification devenu méconnaissable. Un “bip” retentit, une lumière verte s’alluma sur l’appareil et les mots “Accès autorisés” s’éclairèrent en vert sur les parois du tunnel, remplaçant le rouge orangé qui l’éclairaient jusqu’alors.

Avec une semi-conscience des mécanismes d’auto-défense du bâtiment qui auraient pu s’activer et me nuire si j’avais omis cette phase d’identification, je m’approchai de la porte ouverte au bout du tunnel (une porte coulissante vers le haut en métal, avec le bord inférieur strié de bandes jaunes et noires).

Au moment où j’allais la franchir, une autre personne me dépassa rapidement en me disant bonjour, et en reconnaissant un officier je me rendis compte que j’étais en train d’emprunter un passage secret réservé à un personnel autorisé. La porte franchie, j’arrivais dans une pièce étroite, remplie d’instruments de toutes sortes mais surtout remplie d’officiers en pleine réunion. Ils étaient confortablement installés dans des fauteuils allongés, canapés, sofas et autres chaises confortables irrégulièrement arrangées, la pièce était remplie de la fumée du tabac qu’ils avaient du consommer depuis plusieurs heures déjà, et une conversation était en cours tandis que certains se levaient péniblement de leur séant confortable pour dire bonjour à l’officier arrivé juste avant moi.

Sachant que je n’avais pas ma place dans cette réunion, mais nullement gêné puisque après tout ils avaient réunion dans le hall d’entrée du bâtiment, j’enjambai la table basse jonchée de verres et cendriers bourrés de mégots, puis les jambes d’un officier qui encombraient l’allée que je devais emprunter pour aller plus loin, et tandis que je sortais de cette pièce j’entendis à demi-mot les encouragements de l’officier qui m’avait amené la veille et qui expliquait maintenant à ses collègues pourquoi j’étais là.

Dans la pièce qui suivit immédiatement, plutôt un angle dans l’allée qu’une pièce d’ailleurs, plusieurs femmes étaient assises sur des tabourets avec des machines à écrire sur les genoux. À mieux y regarder, en réalité elles étaient en train de sténographier la réunion qui avait lieu à côté, et je me rendis compte successivement que :

  1. il s’agissait des épouses des officiers, recrutées pour du travail de dactylographie,
  2. elles étaient très efficaces, les feuilles volaient en sortant en série de leurs machines,
  3. elles étaient alignées d’un côté du passage et il y avait des lavabos et des miroirs de l’autre.

Je traversai en souhaitant le bonsoir à ces dames, et montai dans le passage à la recherche de la porte 150-159.

Évidemment, je ne la trouvai point. En revanche, à un moment je vis une femme sortir d’une toute petite pièce ressemblant à un placard, et je lui demandai mon chemin. Elle me regarda sans rien dire, puis me désigna le placard derrière elle.

Il s’agissait en réalité d’une toute petite salle de bains encombrée, et je pouvais voir derrière le chauffe-eau un placard fermé à la peinture décrépie. La femme m’indiqua ce placard en me disant que peut-être que je trouverais ma voie dans cette direction.

Je tentai de dégager ce passage, puis abandonnai en me rendant compte que de toutes façons c’était trop petit pour que puisse passer à travers, même si c’était ouvert. Alors je pris une pause sur le trône, accessible un mètre plus loin derrière deux rideaux de linge en train de sécher, en me disant qu’à passer une nuit dehors, autant la passer là.

Plus tard, je me rendis compte que j’étais assis sur le trône en peignoir, et je fus pris d’une crise de panique en me rendant compte qu’il n’y avait pas de papier toilette à côté. En parcourant la pièce des yeux, je vis un rouleau de bande de tissu, de la même texture et forme que les ceintures de peignoir. Avec pour objectif de m’en servir pour m’essuyer, j’en déroulai un bout puis tentai de le découper.

Quiconque a déjà essayé de couper du tissu sans ciseaux sait combien c’est difficile ; à défaut d’instrument, j’usai donc de mes dents. Et tandis que j’avais presque détaché mon morceau de ceinture de peignoir, une femme arriva dans les toilettes (elles n’étaient pas fermées) et me demanda ce que j’étais en train de faire ; je lui répondis : « j’ai perdu ma ceinture de peignoir, je suis en train de m’en fabriquer une autre » et tandis qu’elle se précipitait pour me chercher des ciseaux, je repérais un rouleau de sopalin posé par terre et m’en servis pour me nettoyer avant de décamper.

Fin du deuxième épisode.

Là, je me suis réveillé un peu plus franchement, vexé, en me rendant compte qu’après tant d’efforts j’avais été infichu de retrouver mon lit et mes coreligionnaires.

Mais j’étais encore fatigué, alors j’ai continué de rêver.

Le jour se levait, et j’étais encore dehors.

Je repérai un hangar désaffecté sur le côté gauche du bâtiment principal, que la nuit avait rendu invisible jusqu’alors. Je me dis que peut-être il y avait des entrées de ce côté-là.

Au fond du hangar, j’avisai un passage dans la paroi vermoulue, qui donnait sur un terrain vague bordé à droite (sur le côté du bâtiment) d’une clôture électrique. Je marchai le long de cette clôture, à travers une rangée d’arbres, un champ, une autre rangée d’arbres, pour arriver dans un complexe de garages et hangars agricoles sans relation apparente avec le complexe militaire. Et toujours, à ma droite, cette clôture qui suivait le contour du bâtiment, derrière laquelle je pouvais voir une pelouse, des allées et les portes d’accès à l’intérieur du bâtiment.

Et puis je débouchai sur une extrémité du parking arrière. Il y avait quelques arbres avec de l’ombre, et la clôture électrique était plus basse et endommagée. À un endroit, elle était rabaissée par un objet qu’on avait appuyé dessus dans ce but, mais je distinguais juste derrière le corps d’une victime de la haute tension électrique. Un peu plus loin, elle était complètement rabaissée (au niveau du sol) et je pouvais passer là. Je regardai de part et d’autre, dans le but de vérifier que personne ne m’observais, et je m’aperçus qu’en fait un peu plus loin sur ma gauche il y avait une barrière avec une allée intérieure, sur laquelle donnait la fameuse porte que je cherchais, intitulée 150-159.

Et c’est là où on m’appela pour participer aux entraînements de la journée, et je rejoignis mon groupe.

À partir de là, les images sont floues et imprécises, beaucoup moins descriptibles.

Je me rappelle clairement ne pas prendre part active aux entraînements, répétant les gestes imposés sans conviction ou avec une perversion artistique. Par exemple, tandis que la foule de soldats aguerris autour de moi maniaient une rame, tous assis dans un stade, pour s’entraîner au geste, je maniais une grande cuiller à salade en feignant de ramasser les feuilles mortes.

À un moment, un officier vint me retirer du groupe, sans doute agacé par mon manque de conviction, et m’emmena en me tenant sans rien dire. Sans que je me souvienne du trajet emprunté, nous nous sommes vite retrouvés dans un trou dans la roche rempli d’eau, et il me tint un discours de la teneur suivante : « maintenant, imagine que tu te retrouve dans un trou et que l’eau monte. Il n’y a pas d’issue prévue, et il faut que tu réagisse. Si tu sors de ce trou, je te laisserai tranquille vis-à-vis de ta manière de participer aux entraînements. »

Et je me suis réveillé, cette fois pour de bon.