Question fondamentale

Qu’est-ce que je veux ?

Quand je suis malheureux, c’est souvent à cause d’une douleur ou d’un manque, et mon but principal est alors de supprimer la douleur et combler le manque.

Et puis quand la douleur est moins sensible, et que le manque est suffisamment comblé, c’est-à-dire que je ne me sens pas particulièrement malheureux, comme maintenant, je me dis : « OK, et maintenant ? »

Qu’est-ce qui fait que je me lève le matin, que j’interagis avec d’autres personnes, et que je prends du plaisir à apprendre de nouvelles choses, etc., quand ce n’est plus seulement pour être moins malheureux ?

Le même genre de question se pose lorsque j’éprouve de l’attirance pour quelqu’un : le but immédiat, provisoirement, est de rentrer dans sa vie et de glaner de l’affection et de la tendresse en échange de la mienne. Très bien, mais une fois que cela est fait, que doit-il se passer ensuite ? Car autant il est compliqué de dire et faire comprendre à quelqu’un que c’est quelqu’un d’important pour mon existence, autant cet acte ponctuel, en lui-même, ne constitue pas une raison renouvelable à l’existence jour après jour.

En fait, de trois choses l’une :

  • ou bien il existe dans mon existence un but ultime que je dois passer mon temps à 1) chercher et 2) accomplir, son accomplissement se chargeant de consumer et d’achever définitivement mon existence dans un paroxysme (voire, si je n’en meurs pas, me laissant pour le restant de ma vie dans un état de sérénité éclairée) ;
  • ou bien mon existence doit consister à vivoter, pour chercher et accomplir, les uns après les autres, une série de petits objectifs à court-moyen terme, et la sérénité et le bien-être viendraient dans la conscience de cette succession de cycles d’accomplissement ;
  • ou bien ma vie n’a aucun sens, et mon existence doit consister à me sentir éternellement insatisfait, condamné à rechercher je-ne-sais-quoi, en masquant l’insatisfaction perpétuelle par l’illusion d’une utilité dans les petits accomplissements du quotidien.

Deux cas qui laissent la sérénité comme objectif ultime et accessible, et un cas beaucoup plus crédible et réaliste qui me condamne à une vie désagréable.

Et je ne sais pas ce que je veux.

Tantôt, une considération plus locale me poussait à me demander ce que je recherche dans la fréquentation d’autres gens.

Qu’est-ce qui me pousse à classer les gens bien dans cette catégorie (vaste, d’ailleurs), puis à désirer les revoir, les distinguant ainsi de la masse des personnes qui me laissent indifférent, sans désir particulier de les fréquenter à nouveau ?

Car les plaisirs qu’ils m’apportent et dont je suis conscient sont éphémères : le plaisir des sens, le plaisir d’apprendre, le plaisir d’échanger, celui plus rare d’être écouté, celui de partager, celui de construire ensemble, que des choses qui sont plaisir parce qu’elles surviennent à un moment de l’existence où elles peuvent être perçues comme telles ; j’en prends pour exemple plusieurs conversations récentes que j’ai trouvé intéressantes sans m’empêcher de penser à quel point elles m’auraient mis mal à l’aise et provoqué mon indignation si elles étaient survenues à un moment antérieur dans mon existence.

Actuellement, pour me rassurer, je me dis que mon existence n’a pas de consistance dans l’avenir, et je m’empêche de prévoir à plus de quelques jours ce que je ferai, où je serai et avec qui, afin de ne pas éprouver de déception à voir les choses se passer différemment de mes prévisions. Mais du même coup, je m’empêche de construire et d’appréhender des objectifs plus larges, à plus long terme.

À fuir la douleur et la déception, je me construis une existence simple et peu engagée, voire qualifiable de « médiocre » selon beaucoup de critères. Je n’y accorde pas beaucoup d’importance, sauf quand il s’agit d’en parler à d’autres personnes ; alors, mon ego souffre, et je me sens inférieur, moins riche en expériences et en objectifs que les autres.

Et la question se pose alors de déterminer si je dois accepter cette manière d’être que j’ai choisie comme étant celle qui me convient le mieux, où si je dois continuer considérer qu’il s’agit d’un moindre mal « en attendant » quelque chose de mieux.