Abstraction
Si je dis « ma petite merde » à un ami en signe de reconnaissance d’un passé commun où nous nous affublions de noms divers et variés, il me répondra « oui, ma grosse fiente » d’un ton aimable et nous pourrons entamer une discussion agréable.
Si je dis « ma petite merde » à un inconnu dans la rue, au mieux il me regarde comme si j’étais un débile mental, et au pire il me décroche la machoire en me faisant sauter quelques dents au passage.
Voilà une expérience qui soutient la thèse de plusieurs linguistes, celle qui stipule que toute communication n’existe que par le partage d’un champ de référents communs. En d’autres termes : pour pouvoir parler avec quelqu’un, il faut avoir quelque chose à lui dire, et c’est l’expérience commune et le milieu culturel qui fait qu’il est capable de le comprendre.
Mes cours de linguistique de l’an passé m’empêchent d’approfondir moi-même ce sujet : je me sentirais ridicule avec mes petites idées, parmi le fourmillement des ramifications autour de ce sujet. Je garde cependant un souvenir ému de la découverte de cette théorie, dans le livre Gödel, Escher, Bach de D. Hofstadter.
D’autant plus ému que c’est pour moi un moyen fort d’expliquer tout un tas de déconvenues observées au quotidien. Prenez le cas le plus courant : des personnes qui disent des mots à leur interlocuteur en signifiant quelque chose de différent que ce que les mots indiquent. Ce type d’échange, très courant en français, s’appuie sur le partage présupposé avec l’interlocuteur d’une tendance à chercher la signification au-delà du sens littéral de l’échange. Voire, sur le partage présupposé encore du même mode de pensée dans la recherche de cette signification dite « de deuxième degré. »
C’est là beaucoup de présupposé. Et ce n’est rien d’autre que l’attente d’un partage de beaucoup de « référents communs. » C’est-à-dire quelque chose :
- de courant entre amis intimes,
- de courant entre membres d’une même famille proche,
- de très probable entre collègues de travail (avec qui on passe plus de 50% du temps horaire de sa vie éveillée)
- de très probable entre accointances à fréquentation régulière,
- de moyennement probable entre membres d’une même culture,
- de rare dans le reste des cas.
Cette probabilité diminue d’autant plus que les milieux linguistiques sont différents
C’est une explication que j’aime bien au fait que le « deuxième degré » n’est souvent pas praticable avec quelqu’un qu’on ne connaît pas souvent, au point où c’est même dangereux pour la relation entre les interlocuteurs.
Quant au « troisième degré, » je n’en parle même pas.
Bref.
C’était l’instant “intello”, le deuxième effet lunettes. (J’ai des lunettes depuis aujourd’hui !)
Dodo time, maintenant.