Deux de tension
Hier, j’ai passé la soirée avec Kiddik.
C’était très bizarre.
Tout d’abord, je souhaitais cette entrevue depuis quelques semaines déjà ; mais je n’ai pas encore réussi à m’expliquer, même aujourd’hui, c’est-à-dire après, pourquoi je ressentais le besoin de le voir, lui parler, interagir avec lui plus intensément que par quelques phrases échangées protocolairement.
D’aucuns pourraient supposer que j’ai été inconsciemment interpellé par son écriture, son apparence physique voire ses hauts faits passés ; j’y ai déjà pensé, beaucoup d’ailleurs, tant et si bien que c’était une des raisons de mon anxiété hier ; car avec toute l’estime que je lui porte, directe ou par renommée interposée, il était à craindre que mon cœur m’emporte à cette occasion dans des voies compliquées.
Et c’est passé. Pas comme je m’y attendais, mais je suis rentré chez moi content.
J’avoue avoir délibérément cherché le bâton pour me faire battre, en commençant sur le trajet qui nous amenait au restaurant par le scruter — discrètement (enfin j’espère) — en testant tous les points de sa physionomie susceptibles de m’émoustiller ; l’exercice fut agréable, puisque la physionomie l’est aussi, et j’ai probablement échappé au désir en laissant peu à peu mon attention dériver sur notre conversation.
C’est celle-là qui m’a laissé pensif et incapable de dormir quand je suis rentré chez moi.
Car tandis que le jouvenceau ponctuait, volubile, chacune de ses phrases en me demandant si je voyais, je ne pouvais que le voir lui, l’entendre, et laisser sa description de sa manière de vivre son existence m’imprégner petit à petit, passivement puisque je ne m’exprimais pas, et m’entraîner dans des méandres de réflexions sur les possibles transpositions que je pourrais effectuer…
En fait, ce qui me gêne le plus, c’est d’avoir utilisé cette entrevue comme moyen simple et efficace de classer moi-même et d’expérience l’individu dans la catégorie des gens bien, et que cela ce soit fait sans aucun effort de ma part, m’étant contenté d’être là et d’écouter patiemment sans jamais m’exprimer autrement que pour contredire certains de ses points de vue. Ce qui fait que même si désormais je sais que ce serait avec plaisir que je le fréquenterai à nouveau, j’ai l’impression d’être passé pour le légume de service à usage unique, et cela rentre en contradiction déstabilisante avec sa proposition spontanée, quoique probablement protocolaire, de venir le visiter lors d’une cérémonie de pendaison de crémaillère à venir.
Affaire à suivre.