Le goût de toi sur ma bouche

En fait, je ne suis pas trop fatigué : il y avait peu de marche, et la première, longue, partie de la pause-repas-jeu a été consacrée à la sieste.

En fait, j’ai principalement joué mon rôle d’asocial.

J’ai peu parlé, réduit mon repas à son strict minimum, refusé de participer aux jeux, et passé la plus grande partie de mon temps à comater dans un coin sans regarder quiconque ni participer aux conversations.

Je crois avoir déçu certaines personnes, qui sont habituées à me voir plus actif, joyeux, entraînant, etc. Tant pis.

En fait, ce n’est pas totalement vrai : j’ai pris beaucoup de plaisir à converser avec une personne (pour qui j’ai beaucoup d’estime par ailleurs) — comme d’habitude en sa présence d’ailleurs, elle doit avoir un don particulier — et cela m’a empêché de m’ennuyer. Rien qu’à cause de ça, je peux dire que la journée a été plutôt bonne (elle l’a été aussi pour avoir eu le plaisir de partager quelques instants en groupe avec plein de gens bien, mais ces quelques conversations eussent été suffisantes).

Cela étant, j’ai pu constater par l’expérience le désert de mes aptitudes à communiquer et surtout entamer des conversations. À tel point que c’en est même devenu un sujet de conversation, à l’occasion de laquelle j’ai eu le plaisir d’apprendre que d’autres partagent cette phobie mienne des sujets consensuels. Et j’ai même pu récolter quelques accroches réutilisables, certaines surprenantes : « irons-nous déguster une glace chez Bertillon sur l’île Saint-Louis ? » Bien sûr, j’ai noté…

Parmi les sujets de pensée qui sont remontés à la surface aujourd’hui, je me rappelle :

  • les liens créés entre un air musical et les émotions vécues au moment où on le découvre, qui persistent longtemps dans le temps ; en mentionnant à qui j’expliquais le concept le fait que certaines pièces sont désormais aptes à provoquer en moi une réminiscence automatique qui frise la nostalgie, je n’ai pu m’empêcher de me remémorer quelques exemples pratiques, pour mon plus grand déplaisir ;
  • la réflexion rétrospective que même aujourd’hui je ne pense pas m’être trompé à chaque fois que j’étais amoureux. Le pire étant qu’en observant ce qu’ils sont devenus, je me dis que même aujourd’hui, j’aimerais à nouveau si je commetais l’imprudence de m’en rapprocher ; et cette réflexion, bien entendu, m’a ramené au niveau conscient cet arrière-goût d’inachevé qu’à chaque fois j’ai tant de mal à faire disparaître.

Ma mémoire me fait souffrir. C’est vraiment un problème grave. Et je n’ai aucune idée pour améliorer cet état de fait.

Bref.

Des fois, je me dis qu’il faudrait que je change, que j’apprenne à moins me laisser influencer par mes émotions, idée soutenue par ailleurs par des amis proches qui me rappellent régulièrement que l’empathie a des limites même si au besoin il faut les fixer arbitrairement.

Le problème, c’est que cela signifierait devenir quelqu’un d’autre. Quelqu’un que je ne suis pas, aujourd’hui. Et les quelques rares instincts de survie qui me restent me protègent de ces changements qui me feraient devenir quelque chose qu’ils n’arrivent pas encore à comprendre.

Peur de l’inconnu, en somme.

Et puis forcément il était là. Et je me suis laissé penser à notre unique baiser. Le plus agréable que j’aie jamais fait…

Snif.

Post scriptum : c’est très bizarre, d’être à la fois bien en forme physiquement et moralement (promenade, regroupement social, même s’il est partiel, divertissement physique et intellectuel, etc), et aussi miné par les petits détails douloureux. Je suis partagé, en vagues successives rapprochées dans le temps, entre l’envie de faire la fête, de sortir, de bouger, de rencontrer des gens, tout cela pour honorer dignement les instants de bonheur que je redécouvre à chaque fois, et celle d’aller m’enfermer pour dormir jusqu’à ce que la mort s’ensuive, en broyant du noir, en tournant en rond dans les mauvais souvenirs.

Sauf que, cette fois, je m’impose par avance la raison que je suis dans cet état par fatigue physique, et qu’une bonne nuit me sera salutaire. Donc ça va mieux, et je sais déjà que demain soir j’irai au Merle, sans douter de ma motivation.

En fait, c’est long, mais je crois que je progresse dans mon auto-thérapie.

Et je commence à ressentir une gratitude non dissimulable envers toutes les personnes qui me supportent dans cet effort.

Tout arrive.