Considérations personnelles
J’ai l’impression de vivre dans un monde irréel.
Pour resituer le contexte, cela fait maintenant presque deux semaines (ou peut-être trois, je ne sais plus, je suis en train de perdre mes repères temporels) ou je passe la majorité de mon temps au bureau, ou plus précisément là où j’ai accès à l’Internet.
Mon emploi du temps est partagé entre le travail (30-50% du temps, passé en majorité à explorer Zope et en faire ce qu’on m’en a demandé, et en extrême minorité - comme ce soir par exemple - à m’occuper de l’autre truc débile et chiant avec des outils Microsoft - oui je sais je l’appelle « débile et chiant » même si ce n’est pas exactement vrai, mais c’est ce que mon métabolisme interne m’invite à exprimer à ce sujet), le sommeil (10-20% du temps) et les activités « annexes, » organisées en cycles irrégulièrement rythmés. Chaque cycle est simple :
- ouverture du client mail pour lire ceux que j’ai reçu, y répondre, ou faute de mieux simplement constater que je n’ai rien reçu d’autre que du rpam ;
- lecture quotidienne de Slashdot ;
- ouverture (si ce n’est pas déjà fait) du client Jabber pour recevoir les messages en attente et déclarer ma « présence » pour la journée ;
- ouverture (optionnelle) du navigateur Web sur la page d’Orkut, pour voir s’y je n’y ai pas reçu des messages, et à défaut si de nouvelles têtes connues sont apparues dans le cercle des amis de mes amis ;
- lecture des nouveaux articles sur les blogs de ma « blogosphère » et récursivement de tous les liens web qui y sont potentiellement référencés ;
- exploration du Web à la recherche de nouvelles informations sur les idées de la journée (les idées de la journée étant les sujets de pensée de la nuit pour lesquels je n’arrivais pas à en faire le tour dans mon sommeil) ;
- lecture des logs IRC depuis la session précédente, voire intervention dans une discussion qui peut me faire passer ensuite quelque (moult) temps sur IRC ;
- pause café / Coca / Sprite / Fanta (selon l’humeur) ;
- pause métaphysique, pour me ressourcer, et décider si je dois continuer en travaillant ou recommencer un cycle.
Quelques fois, je regarde par la fenêtre. Il fait jour ou nuit, mais à chaque fois je me dis que la Suède est un beau pays et que j’aurais bien aimé y avoir une vie sociale. À chaque fois, je me dis que ce n’est pas ma faute, que le fait que je sois dans un milieu professionnel avec des personnes qui ont presque toutes deux fois mon âge m’a interdit d’être « introduit » dans un milieu où je pourrais trouver des amis et des activités extra-professionnelles. À chaque fois, je me dis en même temps que je suis très bête, que ce n’est qu’une vue de l’esprit et que je suis surtout très paresseux à ne pas avoir le courage de sortir dans des lieux publics, me forcer à entamer des conversations avec des inconnus, bref à me trouver tout seul une vie en société.
« Le monde est mal fait » - je suis timide, paresseux, et en plus j’aime faire des choses intéressantes avec mon ordinateur connecté au net. Tout cela ensemble… C’est humainement assez excentré, je l’admets volontiers.
Cela étant, je ne regrette pas ma situation. M’étant assez facilement fait à l’idée que ce n’est pas avec mon activité professionnelle actuelle que j’aurais une vie sociale, quelque soit le pays, je me laisse empreindre de tous les souvenirs d’exploration visuelle de mon environnement. Quoi qu’il se passe, où que j’aille, j’ai des souvenirs magnifiques de la vie dans un endroit calme, recouvert de neige, silencieux, où les gens apparaissent civilisés et aimables en toutes circonstances, souvent plus beaux que la moyenne, et donc l’illusion confortable qu’il existe, même si je n’y passerai pas ma vie, des endroits dans le monde où il fait bon vivre.
C’est vrai, la conjoncture entre mon mode de vie du moment et le fait qu’il est prévu que je parte dans un peu moins de deux semaines m’invite à faire des bilans. C’est en partie pour cela, en plus du reste, que je considère la situation très inhabituelle.
Enfin.
Pour en revenir au thème initial, où est l’irréalité dans tout ça ?
C’est simple : quand « je » pense à « moi, » « je » vois quelqu’un d’autre que ce que me laissent percevoir mes sens.
Je vois quelqu’un qui a un travail intéressant, en interaction avec des gens d’environ son âge, avec lesquels il y a un échange enrichissant au niveau professionnel et au niveau personnel, le tout sans heurter mes convictions idéalistes sur l’avenir du monde.
Je vois quelqu’un qui passe au moins plusieurs fois par mois chez ses amis, pour discuter, pour prendre des nouvelles, pour se ressourcer en parlant de sujets classiques ou d’actualité avec un protocole rhétorique sain et construit.
Je vois quelqu’un qui a et prend le temps de lire plusieurs livres par mois, d’étudier en sus du travail et des relations sociales des sujets intellectuels variés, qui enrichissent la culture personnelle et la manière de penser.
Je vois quelqu’un aussi de nettement plus sportif que ce que je suis actuellement. Quelqu’un qui en plus du bien-aimé transport en rollers et les séances régulières de DDR, pratique la piscine surtout pour se détendre mais aussi s’exercer.
À toutes ces choses mon « moi » aspire, mais elles nécessitent des efforts personnels que je n’arrive pas à initier sans au moins quelqu’un pour me soutenir.
Six mois en Suède m’ont permis de cerner le problème. J’ai commencé récemment à réfléchir et me documenter sur la manière de le résoudre, mais je nage encore dans l’inconfort et l’incertitude.
Depuis quelques temps, par ailleurs, j’envisage d’aller consulter un psy (ou une, ne soyons pas sexistes). Le fait est que même si je ne redoute pas les effets secondaires sociaux de ce type de cure, je me demande bien quels seront nos sujets de discussion. J’ai très peur des docteurs traditionnels qui se jettent sur la moindre miette de sujet à complexe (ex: homosexualité ou situation familiale) pour en faire tout un plat, car cela ne m’intéresse pas. Je pense avoir besoin de parler à quelqu’un qui m’apprendra à mieux me connaître, pas quelqu’un qui veut trouver un problème bouc émissaire que je pourrai désigner comme la cause de ma situation actuelle.
Ah et puis quoi d’autre ?
Je déteste, j’exècre de plus en plus cette obligation que j’ai de travailler avec des gens qui considèrent l’informatique comme purement utilitaire. J’en suis tellement enragé que ça bloque complètement ma capacité au travail, et que mon inconscient me force à me distraire avec le « cycle annexe » précédemment décrit pour échapper à la douleur.
Cela me fait penser quasiment en permanence à ma douleur d’étudier les sujets de classe préparatoire, douleur qui a été merveilleusement et incommensurablement soulagée par mon entrée à EPITA.
J’ai envie d’une nouvelle activité qui me fasse à nouveau cet effet, quatre ans après.
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