Sai la fête au village

Je reviens (ce matin) d’un bref voyage à Besançon que je découvris pour la première fois.

Le but du voyage : un mariage, celui d’un gen bien.

Je désapprouve la notion de mariage ; mais il le vit bien, n’en vante pas les mérites auprès des autres gens bien qui l’entourent, donc je n’y vois pas d’inconvénient.

La cérémonie à l’église, célébrée le matin, fut pompante à défaut d’être pompeuse, et les musiciens ont tristement écorché le magnifique Ave Maria de Bach qui clôturait l’heure et demie passée dans la salle. Heureusement, la suite compensa magnifiquement la situation, en offrant aux convives un très honorable repas à rallonge qui nous occupa jusqu’au soir, agrémenté de distractions aussi variées que le spectacle d’un illusionniste compétent et celui d’une assemblée de gentils vieux aux manières protocolaires de table très irrespectueuses de tous les principes qu’ils nous inculquaient autrefois.

Mais de toutes ces choses qui, même très bien organisées et de haute qualité, restent assez banales pour un mariage, j’en retiens une qui a fait de ce week-end pour moi une expérience particulièrement agréable : la rencontre de gens bien.

Je ne doutais pas, faisant confiance à ma théorie que les amis des gens bien de ma connaissance sont souvent des gens bien eux aussi, que je ne serais pas mis en situation désagréable à devoir fréquenter les relations des mariés beaucoup plus longtemps ce week-end que les mariés eux-même (je leur aurai parlé, en tout et pour tout, moins de quinze minutes chacun pour deux jours de résidence dans leur ville). Je ne m’attendais pas, en revanche, à être aussi bien accueilli, d’une part, mais surtout d’autre part à prendre autant de plaisir à découvrir des choses nouvelles chez de parfaits inconnus que seul un événement autrement peu original avait réunis pour l’occasion.

Effet du hasard ? Vérification de ma théorie ? Attrait de la différence culturelle ? Attrait de la nouveauté ? Simplicité de la société en petite ville ? Je ne comprends pas ce qui a permis que je vive ces rencontres comme si un tissu de relation sociales entre nous avait toujours existé.

Et sachant qu’une occasion pareille avec ces mêmes personnes ne se reproduira probablement jamais, j’ai absorbé goulûment tout ce que mes sens pouvaient capturer de cette expérience, et j’en suis revenu la tête remplie de beaux souvenirs.

Et le retour en train a été l’occasion de laisser germer sur le terreau de mes réflexions fertilisé par le week-end un bouquet de pensées nouvelles.

Je me suis rendu compte que je possède l’art de voyager. Rendu compte à quel point cet art n’est pas facile, en tout cas pour la plupart des autres voyageurs avec lesquels je partage mes chemins. Je n’ai pas peur de partir lorsque je connais ma destination, et je sais à loisir changer d’itinéraire ou de moyen de transport en cours de route tout en contrôlant mes estimations de durée. Le train, l’avion, le bateau, la voiture, les pieds, les rollers, l’auto-stoppeur, l’hélicoptère, etc. ne sont plus pour moi des notions divergentes, indépendantes, décorrélées : ce sont des outils que je sais placer dans l’équation temps-coût-confort-simplicité et manipuler pour choisir au mieux mon voyage. Je connais mes lacunes ; je les vois comme un manque de savoir-faire à manier plusieurs outils utiles au voyage : l’habileté à trouver un hôtel à un certain endroit, à m’ablutir en conditions de route, à gérer les demandes d’informations en langues étrangères, à transférer de l’argent, etc.

Et surtout, par dessus tout, je me rends compte de ma sérénité dans le voyage, de mon aptitude à oublier le stress et dormir dès que le véhicule qui m’emporte part, sachant que nulle intervention de ma part n’influera sur l’issue du voyage avant l’arrivée.

Le fait est que j’y vois une intéressante parabole de mon existence. Je ne m’y sens pas mieux que lorsque, ayant un but à atteindre, je sais exactement comment il faut agir pour l’atteindre et j’agis de la sorte. Toutes les autres situations sont source de stress au mieux, au pire d’angoisse et de déstabilisation. Quand tout simplement je n’abandonne pas mon but, prétendument parce qu’il semble inaccessible, mais surtout intimidé par la découverte du meilleur chemin pour l’atteindre.

Intéressante découverte, qui mène à d’intéressants corollaires ; oui, mais qu’en faire ?

Car encore aujourd’hui, voir l’adversaire se mettre en garde ne m’y incite pas pour autant.