Dégoût

Voyage à Grenoble aujourd’hui.

Pour un travail incongru, dont la probabilité qu’il m’échut était si faible que je l’aurais crue nulle, dont je revins bien entendu victorieux et fier.

Mais dégoûté.

Dégoûté par les regards qu’inspiraient les habits que je portais pour l’occasion, ces regards qui disaient « Monsieur » et voyaient des années de vie que je n’ai pas encore vécues. Des regards emplis de crainte et d’admiration, celle-là même que je méprise les jours où je ne la déteste pas. Dégoûté de cette politesse, presque un asservissement vil, dans la déférence des employés des services que je sollicitai aujourd’hui. Dégoûté surtout de constater à quel point le respect n’est qu’imposé, jamais automatique.

Dégoûté d’avoir pu observer à quel point l’être dont je donnais l’image domine sans conquérir, est reconnu sans effort, par le seul jeu de ses atours et de sa manière de les porter.

Dégoûté d’avoir dû rencontrer, travailler avec des gens « comme ça » mais qui eux ne jouaient pas le rôle d’un autre. Oh, qu’ils étaient exécrables, ces anglicismes snobs, qui m’inspiraient chacun un désir mortel d’ouvrir le crâne de mon interlocuteur ! Un interlocuteur qui, non content de se gargariser de mots dont il croyait peut-être qu’ils m’impressionneraient, parlait comme si son travail consistait à déplacer des montagnes, alors que tout ce que je voyais était un clown incapable de s’apercevoir que les seuls spectateurs dans le chapiteau sont de vieux décrépits ressassant avec nostalgie les souvenirs de leur enfance.

Dégoûté enfin, lorsqu’après avoir terminé la lecture de Grandir de Gilles Leroy, je me rendis compte à quel point je m’ignore moi-même, à quel point je me trompe en croyant être ouvert à mes émotions intérieures.

Je dois bouger.