Projet collectif : “La première fois”

La première fois que j’ai porté une robe, j’avais six ans. Ou peut-être sept. C’était à l’occasion du mardi-gras du Lycée Français de Lomé, et j’avais émis le souhait d’avoir un déguisement plus original que tout le monde, et quand j’ai vu une perruque de ma maman j’ai immédiatement demandé à me déguiser en fille. Avec son entière participation, je me suis fait grimer (fard, rouge à lèvres, mascara) et habiller (une robe verte, des chaussures à petits talons). J’avais un des meilleurs déguisements de la cour de récréation, et entre quelques rires j’arrivais à sentir que beaucoup des autres élèves étaient jaloux, ce qui m’a fait beaucoup plaisir.

La première fois que j’ai fait un rêve érotique, j’avais onze ans. Dans ce rêve, j’avais été convoqué avec le reste des garçons de ma classe dans un lieu spécial pour une visite médicale tout aussi spéciale. La première partie de la visite consistait à nous déshabiller et nous assoir dans des baignoires individuelles montées sur un tapis roulant qui emmenait les baignoires dans une autre pièce en passant par un couloir (imagerie empruntée à un épisode de Yoko Tsuno, les Titans je crois). Au milieu du couloir, un robot automatique vérifiait à chacun notre capacité à entrer en érection (un phénomène qui me fascinait alors, sans que je sache à quoi cela pouvait servir). Ensuite, les baignoires arrivaient dans la deuxième pièce et nous devions prendre une douche collective puis insérer notre pénis dans un autre robot, que je n’ai su décrire que bien plus tard : concept du « glory hole. » Et je me réveillai, en érection évidemment. Plusieurs fois ensuite, j’ai réutilisé ce rêve comme excitant.

La première fois que j’ai embrassé une fille, j’avais douze ans. C’était une voisine, et nous jouions au couple depuis quelques jours. Un après-midi, nous étions allés dans sa chambre pour jouer et nous nous sommes amusés à transformer le double lit superposés qu’elle partageait avec sa sœur en caravane de far-west américain. Et avec la participation de mon frère qui jouait au cocher en faisant des bruits de chevaux à l’étage, nous nous sommes enlacés, et dans la continuité naturelle du geste avons joint nos lèvres. J’étais excité, mais pas sexuellement. Deux jours après, notre jeu s’est arrêté avec une rupture.

La première fois que je me suis branlé, j’avais quatorze ans. Le jour précédent, un garçon de ma classe avait mimé la masturbation en séance de sport, en frottant avec ses deux mains sa cuisse en suivant le geste caractéristique. En me levant le matin, devant l’érection matinale, j’ai répété le geste par curiosité, sans savoir à quoi m’attendre. Ce qui devait arriver arriva, et j’ai su exactement de quoi il s’agissait au moment où j’ai ouvert les yeux après ce prototype d’orgasme. C’était une découverte agréable, aucunement perturbée par des complexes ou des interdictions (j’ai eu la chance d’avoir été élevé jusque là dans un environnement totalement asexuel). Du coup, j’ai réitéré dès le lendemain, puis le jour suivant, et encore le jour suivant, en prenant bien soin à chaque fois de ne pas me faire repérer (il s’agissait plus pour moi de cacher cette sympathique découverte à mon frère dont j’étais jaloux que de me cacher moi), et ensuite la masturbation est restée ma seule activité sexuelle pendant cinq ans.

La première fois que j’ai eu une « relation » avec une fille, j’avais dix-neuf ans. Je l’avais rencontrée quelques mois auparavant sur un canal IRC de ma ville, et nous entretenions une conversation pseudo-romantique tantôt sur IRC, tantôt par téléphone. Elle était française, mais habitait à Barcelone où elle enseignait la musique (j’étais à Aix). Je pensais ressentir quelque chose de fort pour elle, mais l’expérience et le recul m’ont ensuite appris qu’il s’agissait d’un transfer psychologique. Un soir, elle m’a provoqué en me disant que même si nous le voulions, il n’était pas possible de se voir. Le lendemain matin à la première heure, j’avais mon billet pour Perpignan (situé à peu près à mi-distance) et je l’appelai pour la prévenir. Surprise (elle ne s’y attendait pas), elle ne s’est pourtant pas faite prier et m’a rejoint à l’arrivée de mon train, vers quatorze heures. Nous avons visité la ville ensemble en discutant (nous nous racontions chacun un morceau de notre vie), et il était entendu que ne pouvant rentrer chez moi le même jour, nous logerions sur place. Au moment d’enregistrer la chambre d’hôtel, elle m’a lancé : « alors, ce soir, tu vas refaire ta vie, » ce que je n’ai alors pas compris et donc pas relevé. Le soir même, elle m’enlevait ma virginité avec dextérité (ses vingt-neuf ans lui apportaient toute l’expérience nécessaire), et le lendemain elle me remit dans le train pour rentrer. Entre le moment où je suis parti de Perpignan et le moment où je suis revenu au lycée le lundi suivant, il y a un gros blanc, à l’exception d’un instant de lucidité dans le train où je me suis rendu compte successivement que j’avais perdu ma virginité, qu’elle m’avait utilisé (d’une manière agréable, certes, mais tout de même), et que ce type de rapport sexuel ne me plaisait pas. Quelques jours après, elle m’a fait part avec nervosité de sa décision d’effacer les relations via Internet de son existence, mise en application immédiatement, et que je n’ai comprise que bien plus tard.

La première fois que je suis tombé amoureux d’un garçon, j’avais vingt-et-un ans. Contexte : une école d’informatique, aucune vie sociale ni sexuelle auparavant, peu d’amis avec qui discuter de tout, des parents absents. Une série d’inhibitions et d’ignorances culturelles m’empêchaient d’identifier ce que je ressentais pour le jouvenceau, avant que cela ne prenne des proportions considérables. Un tiers s’est alors chargé de m’accompagner dans des discussions philosophiques qui parlaient de tout et surtout de ça, et c’est au cours d’une de ces discussions qu’il a exprimé ce que je n’arrivais pas à exprimer tout seul, à savoir que j’étais amoureux du monsieur. Et ce, au milieu d’un attroupement, qui a accepté le fait avec beaucoup d’indifférence, provoquant ainsi ma première rencontre avec ma propre homosexualité, mon premier coming-out (le seul, car puisque le fait avait été établi et m’avait été présenté en public, il n’y avait plus rien à faire « sortir » parla suite), et mon premier échec amoureux : la conclusion de cette discussion était que posé dans ces termes, ce que je pouvais ressentir n’était évidemment pas partagé ni extensible (l’autre est hétérosexuel et à cette époque me trouvait pathétique). Et ce fut aussi le début de ma première dépression nerveuse (l’édifice de certitudes accumulées s’écroulait d’un coup, et je me rencontrai moi-même pour la première fois), qui a duré jusqu’à ce que je devienne assistant à l’EPITA.

La première fois que j’ai dragué un garçon, j’avais encore vingt-et-un ans, quatre mois après le début de ma dépression nerveuse. C’était sur l’Internet, via le site pagay.com. Le but était de me renseigner, d’expérimenter, et surtout d’apprendre simultanément à draguer et ce qu’était l’homosexualité appliquée. Ça s’est bien passé et nous avons vécu quelques scènes agréables dans ma mémoire (première promenade romantique dans un parc, première promenade romantique nocturne sur le toit de la cathédrale de Notre-Dame, première sortie en club de nuit — le Scorp, à l’époque où il s’appelait encore comme ça — avec l’intention de profiter visuellement du corps des pédés en présence, premier baiser avec un garçon, premier contact avec le corps nu d’un garçon, premières masturbations étrangères, premières fellations). Mais nous n’avions presque rien en commun, et nous étions géographiquement éloignés, donc il a émis le souhait de ne pas continuer ; ce qui ne m’a pas dérangé outre mesure, puisque l’expérience avait été déjà suffisamment fructueuse et enrichissante.

La première fois que j’ai désiré le corps d’un garçon, j’avais vingt-deux-ans. Lui en avait dix-neuf. Suite à la recommandation d’une fille qui l’a depuis déséquilibré psychologiquement, il a accepté mes avances et nous sommes devenus amants. Ce fut l’occasion de ma première sodomie, ni très agréable ni totalement désagréable, d’autant plus facile que mon corps était prêt à beaucoup pour le sien. Très vite, il a su qu’il ne me désirait pas et que les relation homosexuelles ne le satisfaisaient pas, mais nous sommes restés très bons amis depuis.