Non ! Je n’y arriverai pas…

Je me rends compte, je sais que depuis plusieurs mois et plus longtemps encore j’ai développé une sensibilité irrationnelle et dangereuse aux fictions. Surtout les films.

Cette sensibilité qui fait que je n’arrive pas à dormir après avoir assisté à la peur, que je me sens mal à l’aise durablement après avoir assisté à la dépression ou la frustration, et que je me sens terriblement frustré après avoir assisté à des démonstrations d’affections. Surtout certaines.

Elle est là, cette sensibilité, dont je ressens la force à chaque fois que je passe deux jours de suite à me remettre d’un film qui a duré moins de deux heures, ou deux semaines à me remettre d’un livre que j’ai lu en deux jours. À chaque fois, je me dis « c’est fini, j’en peux plus. » À chaque fois, je me rends compte à quel point ça m’est salutaire, à quel point ça m’aide à me développer et accroître mon attention vis-à-vis de mon entourage.

Et pourtant, à chaque fois j’en souffre.

Le paradoxe est terrible. Je suis fasciné par mes crises d’émotion, par l’intensité de ce qu’elles me font ressentir. La curiosité me pousse à les rechercher, à les développer, à me plonger dans tout type de support dont je suppose qu’il pourrait provoquer « quelque chose. » Mais d’un autre côté, je ne sais d’avance quel type d’émotion sera provoqué. Quand c’est agréable, c’est l’apothéose, et rien que pouvoir ressentir autant de bien de temps en temps justifie les autres expériences. Celles où souvent, c’est dur. Plus souvent que le contraire. J’en souffre alors terriblement, au point d’en être physiquement malade.

Alors je me crée des défenses. Une façade d’insensibilité qui me fait prendre du recul dans la vie courante, qui me permet de plaisanter avec des sujets pas drôles, pour essayer de me conforter dans une illusion de solidité. Et j’évite d’approcher de trop près les sources d’instabilité.

Mais je suis drogué, en fait. Par la trance, les films, les bouquins. Certains.

Comme par exemple les films à gens sensibles préférés de Matoo.

Comme un papillon de nuit attiré par la lumière, j’ai vu ces titres, et je me suis dit : « oui, ce sera fort, intense, plus que d’habitude. » et aussitôt la petite voix m’avertissait « attention, ce sera douloureux, encore plus que d’habitude. »

Et j’ai essayé. Je n’y suis pas allé de main morte en plus : j’ai commencé avec Get Real. Au bout de dix minutes, les premières défenses cédaient, je les sentais déchirée par toutes les émotions qui affluaient.

J’ai fait une pause, par lâcheté. Arrêté le film en plein milieu, pour respirer, pour me recentrer sur moi-même, et m’empêcher de rentrer dedans.

Le problème, c’est que je ne sais pas ne pas finir quelque chose que j’ai commencé. J’ai continué.

Et j’ai pris plusieurs pauses, encore. Là, je suis au milieu d’une pause à rallonge.

J’ai peur de me laisser aller, de me laisser flotter sur le scénario et les émotions des personnages. Sachant déjà les grandes lignes de la fin du film, que si je me laisse aller je serai déchiré de l’intérieur et déprimé pendant plusieurs jours, je suis bloqué.

Si j’arrête complètement, j’aurai honte de ma lamentable couardise.

Si je continue, je vais souffrir, et comme je ne cautionne pas le contexte de l’histoire du film je ne pourrai pas me dire que c’est justifié.

Si je me dis juste que je prends une pause, je récolterai la frustration de l’attente de « la suite. »

C’est terrible.

Edit

Finalement, j’ai arrêté, pour de bon.

Je regarderai la suite en compagnie d’un être aimé. Ça ne pourra pas se faire autrement.