Blocage

Il est rare que les émissions télévisées m’intéressent. Ce soir, celle qui réunissait nos meilleurs imitateurs m’a non seulement plu, mais aussi détendu.

J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai trouvé ça beau. Quelle surprise !

Bref.

Pour avoir fait le tour des Grands Magasins aujourd’hui, mon corps me réclame une bonne nuit de sommeil. Demain, c’est le grand départ pour Vienne : j’y parle dans une conférence que je n’ai pas encore préparée, et je sais ce soir que ce n’est pas cette semaine que j’aurai l’occasion de me reposer du stress des trois dernières semaines.

Semaines très occupées, mais en même temps très vides.

Je me suis rendu compte à quel point je suis incapable de restituer de l’information détaillée autrement qu’à très court terme. Ma mémoire est défectueuse pour tout ce qui ne me concerne pas directement. Je suis capable de me souvenir du quand et du comment de mon contact avec des choses lues et entendues longtemps dans le passé, mais uniquement lorsqu’on me les répète. Je peux produire des raisonnements riches et profonds concernant une idée, mais uniquement lorsqu’elle m’est proposée par quelqu’un dont la conversation m’intéresse.

Mes propres idées ne m’intéressent pas, ou de façon éphémère. Par manque de retour d’opinion sur ce que je peux penser par les gens qui m’entourent (faute de leur dire, avant tout), tout ce qui ne m’est pas immédiatement utile est abandonné par ma conscience.

Je suis transparent. Banal dans mon originalité et mon anticonsensualité. Inculte prétendûment fier mais en réalité intellectuellement paresseux. Faux sensible, prétendument préoccupé par les choix de puissants lointains mais avant tout aveugle à la souffrance quotidienne des humains autour de moi.

Je joue un rôle d’être social qui mépriserait son double s’il le rencontrait.

Snif.

Et pourtant, je sais, ou du moins crois-je savoir, qu’il existe dans un coin du moi pensant un bastion de convictions, de certitudes et d’illusions. Un autre moi qui se cache, se laisse dissimuler derrière une image de pas-grand-chose habillé de souplesse, qui agit dans l’intimité d’une conversation à deux, qui me fait paraître tellement différent lorsque mon attention se consacre entièrement à un gen bien, et, peut-être, dont mon premier moi faible espère perversement qu’il sera un jour sollicité suffisamment pour me défaire et me refaire.

Oui, mais se défaire et se refaire, ça demande beaucoup d’énergie et de courage. Je l’ai déjà fait, mais les deux premières fois je n’avais pas le choix : c’était mon seul moyen de survie.

Mon autre moi, celui qui s’aime, qui m’aime, n’aime pas la sensation de nudité entraînée par une déconstruction. C’est douloureux, et je ne veux pas avoir à rechercher des mois celui ou celle qui m’aidera à me retrouver, à me fournir mon nouvel auxiliaire de vie : la première fois, la lecture. La deuxième, la vodka. Que sera le prochain ?

Et puis, ma vie de jeune cadre parisien stressé, débauché et pseudo intellectuel immoral et fauché est intéressante à jouer : elle me permet de découvrir Paris, de réussir à communiquer avec des individus que je trouverais autrement insupportables. C’est confortable, en somme.

Le seul souci, c’est que ça me ruine la santé. Outre le manque de sport, ma vie occupée m’empêche d’effectuer les diverses opérations nécessaires : celle qui me permettra de garder une mâchoire en bon état et celle qui me permettra de digérer encore pendant quelques années, entre autres. Et puis la vodka, c’est bon mais ça abime : lundi, je crachais du sang.

Je crois me rendre aujourd’hui compte que j’ai été très protégé dernièrement, que je suis moins robuste que je devrais l’être et que je risque de ne pas savoir réagir correctement en face de mon prochain obstacle de vie. Celui qui, je le sens, arrivera sans doute bientôt.

C’est trop calme.