Sport d’intérieur et d’extérieur

Je suis retourné skier.

Hier soir, longue conversation qui fit naître quelques tensions négatives. À défaut de m’éloigner du champ des possibles probables, ces moments de discussion m’ont éloigné de mes pensées sordides et ennuyées.

Ce matin, mon corps réclamait de l’exercice, alors je lui en ai donné.

Ce fut l’occasion de découvrir un mode de transport de skieurs analogue au wagon pour bestiaux, un concept absolument terrifiant autant quand on imagine l’assemblage de corps imposé par son remplissage que la promiscuité induite par ce mode de stockage. Non, en fait, ce qui m’a surtout ennuyé avec ces boîtes de sardines, c’est qu’on ne pouvait s’y assoir, et donc qu’il n’était pas possible d’y trouver la pause que devrait habituellement constituer une remontée mécanique.

Aujourd’hui, j’ai rempli mon biberon précieux avec de la vodka-carambar, au lieu de la vodka-pomme comme lundi et mardi. C’est absolument délicieux, quoique un peu écœurant pur… Je tenterai demain d’en absorber avec du lait, je pense que le concept vaut le White Russian. Et sinon, la bouteille de vodka-tagada est presque prête.

À cause du vide intérieur causé par la journée d’hier, mes divagations intérieures m’ont emmené dans des considérations nouvelles. Autour des quelques songes préliminaires inspirés par mon prochain voyage à la Réunion se sont imposés des remémorations d’anciens souvenirs.

Pour le contexte, je dois avouer que cette semaine n’a pas été accompagnée d’une baisse de ma libido, bien au contraire. Mes rêves la nuit sont peuplés de scènes de sexe torride, tandis que mes journées sont plutôt romantiques. Pour combler la solitude de ces vacances, j’imagine chaque jour en descendant les pistes le rêve d’une semaine de vacances au ski organisé pour et avec un(e) amoureux(se) (plus souvent un que une, mais pas exclusivement, pour être précis). Je tente de concevoir quelles seraient mes accomplissements sportifs, mes motivations, quelles idées originales et spontanées me viendraient pour pimenter un séjour à deux, et à quel point je saurais être sensible à de semblables tentatives de la part de l’autre moitié.

Sur le siège des remontées mécaniques, je rêve à un bras qui viendrait se placer sur mes épaules, autour de mon cou. Pendant les arrêts-repos sur les pistes, je m’imagine en train de me réchauffer en serrant un corps dans mes bras, une tête sur mon épaule. Mais aussi, quand au détour d’un virage une bosse me surprend et que les skis se détachent du sol, je m’imagine voir le sourire franc et admiratif de quelqu’un qui me regarde et y fait attention.

Et tout cela, sur les notes de Souchon (les jupes des filles), Piaf (la vie en rose) et Gloria Gaynor (I will survive).

Et donc, dans ce contexte, sont remontés des souvenirs de la période où je suis tombé amoureux pour la première fois, et sur tous mes agissements qui s’ensuivirent. Ce qui m’interpelle le plus aujourd’hui, c’est à quel point j’exhibais tous les symptômes de l’amoureux transi sans m’en rendre compte, et à quel point j’étais déchiré par des désirs dont j’ignorais la nature et donc que je ne savais formuler en demandes explicites. Il me semble de plus en plus inévitable de devoir admettre que j’ai pu aimer sans m’en rendre compte.

Bref, quand je suis rentré, ce soir, j’étais épuisé.

Je suis rentré dans la salle de bain pour m’y ablutir, et après l’opération de décrassage nécessaire je me suis regardé dans le miroir : c’était une catastrophe. Ma tentative de me raccourcir les cheveux avant mon départ était totalement ratée, et ma coiffure est absolument ridicule ; par ailleurs, le rouge des brûlures est étalé inégalement sur la peau de mon visage, de mon cou et de mes oreilles, pour un résultat global absolument risible et repoussant. En somme, le ski m’enlaidit.

De fait, j’ai renoncé ce soir à mes rêves et je me suis laissé aller à étudier les transformées de Fourier et l’altération des valeurs transformées avant de les inverser, pour honorer mon statut indécrottable de geek désespéré.

C’eût pu être d’autant plus facile et agréable qu’au menu figuraient champagne, vodka et crêpes. Le début des crêpes et du champagne, au demeurant, était très bien. Hélas, il se trouve que mes colocataires ont décidé ce soir de regarder le Bachelor, cette émission de télévision dont je n’avais jusqu’alors qu’entendu que le nom. Alors qu’a priori j’étais plutôt curieux de voir comment Ali Baba pouvait disposer à sa guise de ses quarante pouffiasses, la réalité a largement dépassé mes craintes, et ma déprimante consternation désillusionnée concernant ces êtres humains diminués a aussitôt rappliqué et me fit fuir. Entre la cruauté du protagoniste, la stupidité incommensurable de la plupart des rôles et le ridicule de situation omniprésent, j’aurais pu en rire si je ne savais que chacun des acteurs est en réalité un être humain, soi-disant responsable, qui croit vraiment qu’il trouvera le bonheur de sa vie dans le tournage d’une émission. Le pire étant, je m’en rendis compte peu à peu, que la majorité des autre téléspectateurs autour de moi étaient dans un état d’esprit participant au jeu, ce que je trouve plutôt inconcevable sinon assez décevant. De fait, mon écœurement émotif s’est étendu à mon métabolisme, et je suis donc dans l’impossibilité physique de déguster ces crêpes comme elles le méritent.

Bilan annexe, à la simple idée que ce personnage nommé Karl est directement issu des délires pervers d’une production de télévision, je confirme une fois de plus mon dégoût pour cet instrument et le poison qu’il diffuse dans l’esprit des téléspectateurs.

Du coup, je vais dormir, car en pareilles circonstances c’est tout ce qu’il me reste pour reposer mon corps.