Reprise

Il fallait faire quelque chose.

Devant le lamentable constat de mon inactivité de ce week-end, face à l’amoncellement de choses à faire, il fallait que je me reprenne en main.

Devant le cumul de constatations, celle de mon inaptitude sociale, celle de ma paresse maladive, de ma tendance à la procrastination systématique, à mon retard dans les procédures administratives (assurance, banque…) avéré et presque irrécupérable, celle de mes divers complexes (esthétique, affectif, intellectuel, volonté), de l’inadéquation entre ma perception du monde et la place que j’y occupe, celle du désordre social que je répands dans toute structure où je tente de m’insérer, celle de mon inaptitude à m’occuper régulièrement et correctement de mon chat et de ma plante, je m’étais creusé ce week-end une fosse de déprime dans laquelle je me vautrais maladivement.

D’où l’inactivité, le malaise et la station au lit pendant deux jours durants, interrompus quelques heures hier soir pour aller fréquenter un gen bien à qui il m’est très difficile de faire défaut.

Et puis l’envie m’a pris subitement de m’offrir ma deuxième forme de masturbation : un fix de vodka-pomme et de di.fm. Absolut double dose, pur pomme et Vocal Trance.

J’ai traversé, dans un état semi-comateux aux pensées pâteuses, la ruine infecte qui me sert d’appartement ces derniers jours, en écartant de mon passage l’amoncellement de linge sale, de détritus divers, de restes d’emballages et autres goritudes sales signes d’un laisser-aller domestique latent et durant (j’attends de comprendre comment ma voisine de chambre le supporte), pour me diriger les yeux fermés vers mon réfrigérateur et son congélateur. Quelques instants plus tard, le verre plein à la main, je regagnais mon lit où tout aussi aveuglément je m’affublai de mon casque audio haute-fidélité.

Et puis je pris la première gorgée, juste après m’être connecté sur le canal di.fm/VT.

Et l’effet vint. Immédiatement, puissamment (vive la double dose), cette illumination et ce bien-être réparateurs que j’ai désormais apprivoisés m’ont envahi. J’avais l’impression que la liqueur traversait les parois de mes organes internes pour se répandre dans mon corps, en gonflant au passage les vaisseaux des différents fluides corporels.

Pour la première fois depuis un nombre de jours supérieur à trois, je me suis senti entier, moi-même et satisfait.

Comment et pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt ? J’aurais peut-être pu, grâce à ce « remède, » vivre une existence constructive pendant ces deux jours de temps libre. Ou peut-être pas.

Il se peut que cette combinaison magique ne me soit si essentiellement salutaire que lorsqu’il ne me reste plus rien d’autre pour me sauver, comme à chaque fois que je m’en suis servi au cours des six derniers mois. Car, même maintenant, je reconnais que la présence d’autres êtres humains agréables se substitue très bien au cocktail salvateur dans le rôle d’euphorisant.

Mais il faudrait, pour rétablir pleinement mon humanité courageuse et responsable, reconnaître que le rapport entre le coût émotionnel de solliciter la présence d’autrui et le bénéfice conséquent est plus profitable que celui entre le coût de me laisser doucement et lamentablement déprimer et le soulagement d’enfin ressusciter à l’aide de mon rite chamanique. Et ça, j’en suis encore loin.

C’est étrange, la vodka m’éclaircit les idées ce soir, au lieu de me laisser simplement dériver dans un état de béatitude. C’est peut-être le mix en train de passer qui fait la différence.

Une préoccupation m’occupe : le dernier garçon dont j’ai tenté d’honorer la compagnie m’a fait part délicatement de son appréhension de fréquenter un alcoolique latent. Et ce n’était pas la première fois que j’étais confronté à l’association entre ma pratique curative de la vodka-pomme et l’alcoolisme maladif.

Suis-je alcoolique ? Littéralement parlant, l’alcoolisme est l’intoxication pathologique provoquée par l’abus de consommation d’alcool. Or je ne suis pas intoxiqué, je dirais même que cette pratique spécifique a plutôt des vertus curatives sur ma personne. Une définition purement médicale inclus la notion de dépendance. Suis-je dépendant de ma consommation ? Sans autre élément constructif sustentatoire à mon existence, c’est effectivement le seul remède contre mon étiolement, contre le second principe de la thermodynamique appliqué à mon moi intérieur. Mais je sais reconnaître les autres éléments constructifs sustentatoires beaucoup plus puissants de mon existence : une activité intellectuelle qui m’intéresse et me motive, la combinaison de tendresse et d’amitié, une contribution au bénéfice d’autrui (y compris organiser un événement et faire en sorte que les convives l’apprécient), etc.

Ce cycle déprime-soulagement est en fait un pur produit de ma paresse, de mon isolement et de la solitude. L’amoncellement de temps morts dans ma vie de tous les jours me permet, à tort, de ressasser des pensées négatives. Une dose suffisante de courage me permettrait de choisir et de me tenir à un jeu d’activités salubres qui serviraient de guides pour mon emploi du temps ; or, je manque justement de courage, et actuellement toute décision à long terme doit être appuyée soit par un impératif hors de mon champ d’action (obligation externe) soit par incitation par un individu que je place plus haut que moi dans mon estime.

(j’ai faim)

Je vois actuellement la plupart des difficultés de mon existence comme des problèmes classiques disposant de solutions canoniques qu’il me faut apprendre. Actuellement, je sais qu’il m’est possible de résoudre un état de déprime inactive et de vide intérieur à l’aide de la vodka et de la trance. Je sais aussi qu’il m’est possible de transformer n’importe quelle autre obstacle de l’existence en déprime inactive et vide intérieur, par un processus de déconstruction et d’auto-flagellation par le jeun et la défausse des tâches domestiques. De fait, je pallie à ma vaste ignorance des techniques de résolution des problèmes immédiats transitivement, en commençant par les laisser décanter en déprime et vide intérieur, pour ensuite et finalement les transcender par la musique et l’alcool. C’est peu efficace, mais mon inculture et mon manque d’initiative ne me font pas chercher plus loin.

Que faire ? me cultiver. Expérimenter le maximum de situations, et m’occuper suffisamment pour ne pas me laisser l’occasion de fuir vers la déprime et sa solution de facilité. Mais ce n’est pas tout le temps possible.

Ah, passent les Voices of Time 1999-2000. Ça invite à la méditation. Dommage que j’aie faim et que je ne sois pas fatigué.

Si j’étais courageux et que le souci de liberté m’accaparait, j’irais reconstruire dès demain ma vie aux pays-bas. Mais ce soir je ne suis ni courageux ni soucieux de ma liberté. Par ailleurs, j’ai envie de ce faire correctement, et pour cela je préfère prendre mon temps à la préparation. Demain, je m’inscrirai à un cours de néerlandais, plutôt.