Self-maintenance

Souvent, une poche pleine de matières louches se forme sous ma peau, provoquant gonflement, douleur et laideur locals. Un bouton, en somme, avec ou sans infection.

J’ai souvent entendu que lorsque cela arrivait, dans la plupart des cas il était plus sain de laisser la chose se résorber par elle-même, quitte à accélérer le processus par application d’un produit ad hoc. Pourtant, mon seul et unique réflexe est de libérer ladite « poche » par n’importe quel moyen.

Pour les petits boutons provoqués par fermeture d’un pore au-dessus d’une glande sébacée (comédon), c’est facile : il suffit d’appyer délicatement autour, pour forcer le passage de son contenu. Après, il ne reste qu’une rougeur à cause de la pression, qui disparaît vite si je la lave correctement.

Par contre, ça m’arrive assez souvent en profondeur aussi. Faute de passage évident pour le contenu, mon premier réflexe est d’attendre patiemment en nettoyant la zone régulièrement. Malheureusement, souvent ça dégénère ; et quand le gonflement et la douleur m’indiquent que le passage vers l’extérieur est nécessaire mais n’apparaîtra pas naturellement, je passe à l’attaque.

Toujours la même : une aiguille, bien désinfectée, force l’ouverture, et la pression de part et d’autre établit le flux de matière vers l’extérieur. Et je m’y reprends autant de fois que nécessaire pour vider totalement la poche.

C’est très douloureux ; mais savoir, d’expérience, que cette opération est salvatrice pour la santé de ma peau (parce qu’elle m’évite l’abscès) me pousse à aimer sa douleur aiguë, tant et si bien qu’il m’arrive désormais d’avoir recours à ce procédé pour me libérer d’une infection bénigne, rien que pour avoir le plaisir de ressentir cette douleur que je considère désormais comme seul moyen d’atteindre la récompense de voir la matière louche sortir de mon corps et accéder, par cette fin, au rétablissement de mon intégrité corporelle.

Quand il s’agit du visage, généralement c’est facile et peu douloureux : la poche est très proche de la surface, et il n’y a pas grand-chose à faire pour la vider. Par contre, quand comme aujourd’hui je dois agir sur la paroi interne d’une narine, le percement par l’aiguille est très désagréable, les contorsions de mon nez nécessaires à l’extraction des matières me congestionnent les narines pendant plusieurs heures, le saignement est beaucoup plus fort qu’ailleurs et c’est très long à cicatriser. Pourtant, j’ai trouvé du plaisir dans le jeu de trouver, par percements successifs, la localisation précise de la poche de liquide lymphatique, même lorsque la douleur était si intense que j’en pleurais par réflexe.

Je n’ai aucun scrupule à agir de la sorte ; sauf, peut-être, celui de craindre les cicatrices, telle celle résultant de l’application de ma chiurgie domestique sur un abscès fessier — abscès que j’avais découvert très tard dans son infection, au point que j’en ai extrait presque un millilitre de pus au premier percement, qu’il m’avait fallu deux semaines entière pour le vider entièrement, et que l’utilisation de la simple pression au lieu d’un drain pour le vider avait provoqué l’apparition de fistules secondaires sous la peau à partir du point de percement principal. Aujourd’hui, une grande cicatrice zébrée orne ma fesse droite, seule vestige de cette période d’auto-médecine, me rappelant que la procédure n’est pas sans effets secondaires… Quoique, une cicatrice similaire et pour les mêmes raisons ornait l’arrière de mon pied pendant un an, et elle a fini par disparaître.

La question subsiste tout de même de la pertinence de ce paradoxe douleur/récompense dans mon modèle de vie qui vise à diminuer la souffrance à tout prix. Je suis partagé, d’une part entre le désir d’absorber comme axiome que la douleur physique de mon corps provoquée par moi est totalement distincte de celle que l’« extérieur » peut m’infliger, et de celle ressentie par les autres, et que pour cela elle ne rentre pas en considération dans mon modèle de vie, et d’autre part le constat que ce comportement déviant sus-décrit est probablement une faille de mon modèle et qu’il faudrait peut-être, pour mon intégrité spirituelle, soit que je change de comportement, soit que je change mon modèle.

En somme, j’ai un comportement qui n’est pas homogène avec ma perception du monde et de ma place dedans, et je me demande ce que je peux bien y faire. Soit changer de comportement, soit changer de perception du monde.

Et c’est là qu’une question survient très vite : est-ce important ? Quelle est la priorité de cette résolution à côté des autres remises en question que j’opère ? Je me pose ces questions à chaque fois que je me perce et que je me presse, mais pas du tout le reste du temps. Qu’est-ce que cela signifie ?

Note pour plus tard, rien à voir : créer un compte sur Kochonland quand j’aurai compris pourquoi il n’accepte pas les valeurs que je renseigne sur le formulaire d’inscription.