Remous

Tandis que la rame de métro ralentissait, je fermai mon bouquin en réfléchissant à ce que j’allais écrire.

La première idée, c’est d’exprimer à quel point je me rends compte de l’influence des conditions de lecture, plus généralement des conditions de perception, de disponibilité à la réception de l’information, sur les émotions suscitées.

Par exemple, lire l’ Enfer de Dante ou Mein Kampf sans beaucoup de précautions et de déconstruction critique, c’est littéralement dangeureux pour l’esprit. Dans la même veine, regarder Pretty Woman fera tantôt rire, tantôt pleurer, en fonction des dispositions émotives du spectateur au moment où il perçoit l’histoire.

Je ne peux m’empêcher de me demander à quel point cette idée relativement abstraite, qu’on peut généraliser à toutes les réceptions d’informations symboliques par chaque être humain, n’a pas été une des idées véhiculées par les croyances populaires sur les formules magiques, ces mots ou ces livres dont la seule lecture par un simple d’esprit pouvait le transformer, en illuminant l’esprit ou au contraire en le détruisant, d’une manière interprétée comme surnaturelle…

Oui, j’ai la sensation que les lectures que je me suis infligé régulièrement, en m’y adonnant l’esprit ouvert et démuni, m’on fait perdre ma confiance en l’humanité — Slashdot, Dilbert, Orwell, Huxley, pour n’en mentionner que quelques-uns. Pour me protéger, je commence à croire qu’il s’agit d’un pouvoir des textes dont je devrais me prémunir, et non plus d’une ouverture d’esprit qui me ferait découvrir la réalité cachée du monde autour de moi.

Je me trouve faible. Et je ne sais pas quoi en penser.

Pour ne rien arranger, ce soir je suis allé voir Farenheit 9/11, ce documentaire de Michael Moore qui fait parler de lui en ce moment. C’est un morceau d’Histoire que je conseillerais à tous juste pour sa manière transversale d’illustrer ce qui s’est passé ces deux dernières années du côté des États-Unis. J’en suis sorti, évidemment, à moitié en état de choc, m’y étant soumis l’esprit fatigué et sensibilisé par la personne qui m’accompagna ce soir. Impossible donc d’en dire plus maintenant tout de suite.

Et pour terminer cette auto-flagellation, je ressens m’être ridiculisé, avoir incarné en tous points de mon comportement la faiblesse humaine face à mon accompagnateur. C’est une personne que je tiens en haute estime, car il manipule avec aisance l’abstraction de son propre comportement, en sachant le critiquer et agir de son plein gré pour l’altérer in the way that he sees fit (je ne trouve pas d’équivalent littéral en français) ; à chaque fois que je le fréquente, j’ai l’impression d’avoir avec moi un être humain supérieur, qui malgré ses faiblesses et ses incompétences a le mérite, inaccessible pour moi, de se connaître, d’admettre les règles qui régissent les rapports humains, et de tenter de s’y adapter.

Tout en lui trouvant des défauts, je l’admire ; je voudrais être lui, et dans plusieurs moments d’égarement je me vis en train de me l’approprier, de m’incruster dans son existence, pour mieux en absorber la quintessence (aucune allusion sexuelle sur ce point-là). Avant de le voir, je suis anxieux, je voudrais qu’il m’apprécie. Avec lui, je me sens faible et inapte. Après, je regrette mes craintes, et je m’en veux de n’avoir fait aucun effort…

Et je ne sais pas quoi faire.

Hier, mon ex me suggérait avec pragmatisme que mon ego serait réconforté si j’amenais cette personne dans mon lit et que je la dominais sexuellement ; je dois avouer que l’idée m’a traversé l’esprit, mais aussitôt je me repens d’avoir l’impression que seules de telles fins assureraient ma position.

Je me sens vil, et je ne sais pas ce que je vais devenir.